d’après Eugène Boudin (1824-1898) – Scène de noce dans la région de Plougastel-Daoulas (vers 1868 – 1870) – Mine de plomb / Aquarelle – 15,3 x 19,7 cm

Yvon est excessivement ému ce matin. Il n’a même pas pu avaler son café bien noir sans sucre. Sa femme lui avait pourtant préparé et apporté dans la salle de bain, comme chaque jour maintenant depuis le jour de leur première rencontre, trente ans auparavant. Déjà. Il s’est coupé la joue à deux reprise en se rasant, a glissé dans sa baignoire et manqué de se fracasser le crâne, et pour couronner le tout, a laissé tomber sa bouteille de parfum toute neuve sur le carrelage. Forcément, un tel geste ne pardonne pas. Eau Sauvage a envahi la pièce en quelques instants et va bientôt contaminer le reste de l’appartement dès qu’il aura ouvert la porte. Pointilleux, il tient absolument à repasser sa chemise en personne. Excellente idée, il réussit à brûler la manche gauche. Lorsque sa femme rentre de chez le coiffeur et qu’elle constate l’étendue des dégâts, elle ordonne à son époux de s’asseoir immédiatement dans le canapé et de plus toucher à rien. Abonné aux catastrophes depuis qu’il a mis un pied par terre, hors de question de risquer quoi que ce soit à partir de … Elle surprend le chien en train de mordiller ses toutes nouvelles chaussures achetées tout exprès pour la cérémonie. Décidément. Et la journée ne fait que débuter.

L’église est bondée de familles, d’amis, de badauds. Nerveux, Yvon, sur le parvis, ne cesse d’enchaîner cigarette sur cigarette. Cela lui est interdit, une tâche aux poumons décelées le mois dernier par son médecin généraliste. Il n’a encore prévenu personne. Forcément …

C’est alors qu’il aperçoit sa fille unique Marie toute de blanc vêtue, un voile lui recouvrant entièrement le visage. Elle sort de la voiture conduite par son cousin. Il devine ses deux yeux noisette espiègles et sa moue boudeuse. Il lui tend la main, elle lui prend le bras. L’orgue retentit. C’est le moment. Le père et la fille entrent à petits pas, épiés, admirés par la foule insatiable. Yvon ne peut retenir une larme échappée de son œil gauche. Il en tremble. La pression de la main délicate de sa Marie l’apaise quelques instants. Il doit absolument se ressaisir. Il ne doit, en aucun cas, se laisser submerger par l’émotion. Que l’allée est longue pour rejoindre l’autel. Il ne s’en était jamais aperçu auparavant. Ils ont enfin rejoint le prêtre et le futur gendre. Yvon marie sa fille Marie.