d’après Jean-Baptiste Greuze (1725 – 1805) – Visage d’une fille qui sourit (1765) – Fusain / Sanguine sur papier gris – 32 x 24 cm

Béatrice a 10 ans aujourd’hui. Ses parents lui ont promis une surprise. Ses deux parents ensemble une journée entière c’est déjà si rare. Est-ce même arrivé un jour ? Probablement les quelques jours qui ont suivi leur rencontre et encore… Rien n’est certain.Elle s’est réveillée tôt, très tôt, il fait nuit dans sa chambre. Alors elle rêve, elle réfléchit, elle invente des histoires dont elle serait l’héroïne.

Cela se passe au Moyen Âge, le jour du marché. Béatrice a revêtu sa coiffe préférée, celle de sa grand-mère paternelle, et s’est échappée par la porte de la cuisine. Elle a profité de l’inattention furtive de sa mère pour fuir les hurlements, les coups, l’odeur nauséabonde de l’alcool, du vomi et de la pisse. Son père est encore rentré à l’aube, en titubant et en frappant une fois de plus sa femme. Les bleus sont tellement nombreux que sa mère ne prend même plus la peine de les dissimuler. Dans ces moments-là, Béatrice se cache, soit sous son lit, soit dans l’armoire de la salle à manger près de la cheminée. Au passage, elle prend son petit frère de quelques mois dans les bras. Elle prend soin d’emmener son ours en peluche. Il est dans un piteux état mais cela le rassure, il se rendort instantanément. D’ailleurs, c’est souvent qu’ils demeurent ainsi tous les deux se tenant chaud, jusqu’au petit matin. Après le départ du paternel, ils s’éclipsent dans le moindre bruit.

Lorsqu’elle arrive sur la place de l’église, tous les commerçants sont déjà en place. Et ça crie, ça se bouscule. Béatrice manque de tomber, bousculée à la hâte par un adolescent poursuivi par la police pour vol à l’étalage. Béatrice n’est pas très rassurée. Elle commence à regretter son escapade quand, tout en se dirigeant vers un coin plus calme, près des marches de l’église, elle aperçoit un jeune garçon, assis à même le sol, une feuille de papier sur les genoux, des crayons à proximité. Il dessine. Elle s’approche le plus discrètement possible, elle ne souhaite pas le déranger. Dans le vacarme ambiant, elle perçoit tout de même le crissement de la mine sur le support. Béatrice se trouve désormais au-dessus de sa tête. C’est alors qu’il se rend compte de sa présence. Il lève les yeux et le plus simplement du monde, il lui sourit. En se penchant un peu plus, elle reconnaît son portrait !