d’après Camille Pissaro (1830 – 1903) – Paysanne accroupie – Fusain sur papier gris – 32 x 24 cm

Je suis plus fatiguée que d’habitude ce matin. Mon ventre s’est comme alourdi pendant la nuit. Pourtant ce n’est pas encore le moment. Ma tante me l’a encore répété hier que j’avais largement le temps de terminer la récolte des choux. Alors pourquoi cet épuisement ? Pourquoi cette douleur lancinante dans mon bas-ventre ?Je dois partir travailler avec les autres. Surtout qu’il y a une autre femme comme moi mais à un stade plus avancé et qui se porte à merveille. Le patron ne comprendrait pas. Et cette chaleur … Zut, j’ai bien failli oublier d’emmener un peu d’eau. Vite, ma coiffe pour me protéger du soleil, je vais encore être en retard, je vais encore prendre un coup de fouet. Oh, pas trop fort compte tenu de mon état mais tout de même, ma voisine dans le village a bien dû appliquer une pommade pour éviter l’infection la dernière fois.

La matinée s’achève difficilement. Mon dos me fait terriblement mal, mes reins davantage. Agenouillée dans la terre poussiéreuse et penchée en avant sont deux positions proches de la torture. À la pause du déjeuner, je me rends compte que j’ai laissé mon bout de pain sur la table de la cuisine. Ce n’est pas grave, de toute manière, je n’ai pas faim. Je vais boire un peu et cela suffira bien. Je repère un arbre sous lequel il serait confortable de m’installer. Mais le temps d’y arriver et un couple a pris possession des lieux en me fixant sévèrement comme pour me faire comprendre qu’il n’était même pas la peine de réclamer quoi que ce soit. Je fais demi-tour et m’assoie au bout du champ. Pas d’ombre, la sueur dégouline sur le front, le nez, pour mourir sur les lèvres, et dans le cou aussi pour dégringoler le long du dos. Je tuerais pour un peu de fraîcheur.

La cloche sonne, la pause est finie. Impossible de me mettre sur les jambes. Une douleur vive, comme une déchirure, frappe mes entrailles. Je m’écroule tout en émettant un hurlement strident. Du liquide, du sang, tout ce sang. Accroupie, je pousse, encore et encore et encore plus fort. Celle qui est comme moi m’a rejointe et me murmure des encouragements. Les minutes, les heures sont longues dans la souffrance. Puis, en un dernier souffle, dernier cri, un autre différent, plus vif se fait entendre : ma Rose est née.