d’après Henri de Toulouse Lautrec (1864-1901) – Femme qui tire son bas (1894) – Pastel sur papier beige – 32 x 24 cm

Claudie est fatiguée. Elle a travaillé toute la nuit. Une des filles est malade depuis plusieurs jours maintenant. Il faut la remplacer. La maison ne fait pas crédit.Solidaires quoiqu’il arrive, elles se serrent les coudes au quotidien. Claudie a un peu froid, elle met sa chemise autour du cou , c’est tout ce qu’elle a à portée de main. Entre deux rendez-vous ? Oui, quelques minutes seulement.

Dans quelques instants, c’est Monsieur Henri. Il est gentil, il est doux. Il s’assoit sur le rebord du lit et il dessine, il peint. Il raconte aussi parfois des histoires. Réelles ? Sorties de son imagination ? Elle ne saurait le dire. Non, vraiment, elle n’en a aucune idée. Mais elle apprécie tout particulièrement ces instants différents et amusants. La patronne est parfaitement au courant, elle ne dit rien. Du moment que l’argent rentre …

Monsieur Henri, son truc c’est les maisons. Enfin, pas toutes les maisons, juste les maisons closes. Il s’intéresse à la vie des filles, toutes les filles sans exception. Il les croque, à leur insu, ou pas. Son sérieux la fait parfois sourire. Elle patiente, tient la pause. Il n’est pas très exigeant, juste précis. La magie des traits, des ombres, des lumières, des valeurs, des couleurs la séduit tout simplement.

L’aurore pointe son nez, timidement. Tout comme Claudie lorsqu’elle demande à Monsieur Henri si elle peut bouger, juste un petit peu, son dos lui fait atrocement mal. Elle, d’habitude impertinente, se reconnaît à peine. Le pouvoir de l’artiste, probablement. Ou plutôt son talent. Sa discrétion amuse beaucoup ses voisines. Lors de leurs pauses, elles aiment partager leurs expériences, leurs angoisses. Ça c’est le côté sérieux et peut-être pathétique. Elles aiment aussi se moquer gentiment les unes des autres, imiter à leur façon les travers des visiteurs. Commence alors une escalade à la meilleure anecdote, la meilleure caricature. Ça c’est le côté divertissant et certainement le plus attachant.

En prenant le temps d’y réfléchir sa vie avec les filles lui manquerait atrocement. Tant de promiscuité et de complicité féminines. Elle, si seule dans sa vie. Elle n’a plus ses parents, pas d’autre famille, encore moins d’enfants. Quelques flashs back furtifs lui reviennent à la mémoire, de brefs instants de bonheur enfouis à tout jamais.

Claudie jette un œil sur le réveil de sa table de nuit. C’est bientôt l’heure, juste le temps nécessaire pour remonter ses bas.