Huile sur bois – 30 x 40 cm – Original

Alors qu’il faisait gris, si gris dans nos vies, le Roi soleil nous est apparu.

Un jour de grand vent, mes sœurs, ma mère et moi nous sommes rendus à l’assemblée générale annuelle des champs de soleil. Ma mère, vieillissante, mes sœurs renfrognées et moi-même plutôt sceptique avons suivi le mouvement. Poussées par Éole, notre dieu des vents bienveillants, nous nous sommes retrouvées blotties les unes contre les autres entourées d’une foule à la fois effrayée, curieuse et enthousiaste.

Puis, le vent s’est calmé laissant place à une pluie battante. Nos beaux pétales flamboyants dans les jaunes orangers se sont ternis d’un coup. Pour les plus âgées, flétris, ils se sont détachés. Quant aux cœurs, un ton brunâtre est apparu, au grand désespoir de ses dames qui avaient tant de temps de se pomponner !

Mes sœurs et moi-même sommes demeurées de marbre, seule mère a eu ce que j’appellerais une légère baisse de régime. Tout autour, une énergie fébrile s’est répandue, donnant naissance à un vrombissement accompagné d’un frémissement des extrémités. L’objectif ? Sécher le plus vite possible avec le vent et les quelques rares rayons de soleil qui avaient réussi à percer les épais nuages gris. La nécessité de redevenir de belles fleurs présentables était palpable.

Puis, tout est devenu si calme, si serein. Puis dans une immense clameur venue de tout tout derrière nous, il est apparu. Se faufilant parmi des jeunes et moins jeunes, voire vieilles, tiges, toutes sans exception, émoustillées, le beau, le seul et unique. Celui dont tout le monde parle depuis des générations. Celui qui fait des miracles aussi parfois, celui qui veille sur nous toutes parfois. Celui qui croit et qui chaque année refait surface pour notre plus grande joie.

Lorsqu’il a atteint ma hauteur, lorsqu’il a frôlé mes frêles pétales, tout jaune pâle qu’ils étaient, j’ai presque failli perdre connaissance, tant sa force est immensément perturbante. Je ne sais pas pour mes sœurs, et encore moins pour ma mère qui dissimule systématiquement ses sentiments, ses ressentis, mais moi, comme on dit, il m’a fait un effet bœuf ! Et encore aujourd’hui, j’en suis toute retournée. Et pourtant, je suis dans la catégorie des vieilles, des très, très vieilles, de celles qui vont mourir dans l’année très certainement. C’était la seule fois.

Et oui, alors qu’il faisait gris, si gris dans nos vies, le Roi soleil nous est apparu.