d’après Johan Barthold Jongkind (1819-1891) – Entrée du port de Honfleur (1864) – Pierre noire / Aquarelle – 16,5 x 26,5 cm

Lorsque Michel ferme la porte de sa maison ce matin-là, il ignore s’il va revenir un jour. Madeleine l’attend sagement dans la voiture, côté passager. Son regard est dans le vague et son esprit flotte. Elle est ailleurs.Le diagnostic du médecin est tombé comme un couperet hier après-midi. Cela faisait quelques mois déjà que Michel avait noté des petits changements dans l’attitude de sa femme. Mais pour lui, cela relevait plus de l’anecdote. Des oublis de plus en plus fréquents ont commencé à inquiéter le jeune retraité : éteindre les lumières, fermer la porte d’entrée à clé, laisser le gaz allumé, faire brûler la ratatouille, enfermer le chat dans les toilettes plusieurs heures. Toutes ces petites choses du quotidien qui semblent dérisoires mais qui pour autant peuvent rapidement devenir tragiques.

Alzheimer, quel drôle de nom, on dirait presque un juron. Mais Michel refuse toute fatalité et a bien l’intention de tenter une ultime chose pour ramener sa Madeleine dans le présent.

La route est longue entre Colmar et Honfleur. Ils ont bien le temps, rien ne presse. Que de souvenirs se pressent dans la tête de Michel tout en conduisant prudemment sur la route nationale. C’est là qu’il a fait sa demande en mariage, dans ce petit restaurant sur le quai, face au port. Ils ont mangé des fruits de mer. Les huîtres étaient délicieuses. Il s’en souvient comme si c’était hier. Et puis au moment du dessert, une omelette norvégienne, son préféré, il s’est agenouillé, a sorti la petite boite contenant la bague au petit caillou blanc transparent et … elle s’est mise à pleurer, tout doucement, et elle … Une larme coule sur sa joue, Michel est tellement sensible. Plus que deux heures et ils seront enfin dans ce petit hôtel qui a été témoin de leur toute première fois.

Enfin arrivés, Michel monte les bagages dans la chambre, la même que quarante-deux ans auparavant. Il demande discrètement à la réceptionniste de surveiller sa femme qu’il a installée dans l’entrée sur un fauteuil confortable avec un magazine féminin à feuilleter. Elle les adore !

Il redescend très vite, prend Madeleine par la main et malgré ses protestations, il la traîne dehors en direction du port.

Une barque est là, à quelques mètres de la plage, un pêcheur sans doute, Madeleine soudain fixe Michel, un éclair dans ses yeux. Elle est revenue enfin …