d’après Camille Pissaro (1830 – 1903) – Gelée blanche – Huile sur toile – 27 x 35 cm

Louis est fatigué, tellement fatigué. Encore un hiver et un de plus. Il n’en finit pas de vieillir, année après année. Il n’en peut plus, vraiment. Il est comme sa petite fille dit « au bout de sa vie » !

Son voisin et copain paysan lui a bien précisé que l’hiver sera rude cette année. Et on parle de réchauffement climatique ? Il aimerait bien. Cela signifierait qu’il n’aurait plus à aller dans les bois, dans ses bois, loin, si loin de chez lui. Lorsqu’il avait acheté ce bout de terrain dans sa jeunesse, il n’y avait pas pensé. Cela ne lui avait même pas effleuré l’esprit. Eh oui, la distance à pied à 20 ans, ça va, on peut même le faire en courant si on veut. Mais en rajoutant 60 ans aux vingt premières années, ça commence à faire. Et franchement, parcourir ne serait-ce que ces 2 kilomètres à pied, les fagots sur le dos, la canne à la main droite et les vertiges qui prennent sans prévenir, jamais. Un jour, il va bien finir par se retrouver les quatre fers en l’air, à moitié assommé par une pierre sur le bord du chemin. Et personne pour venir à sa rescousse. Ou bien si, le lendemain, alors que Marcel effectue sa promenade quotidienne avec son chien, un golden retriever. Et là, il serait mort, congelé par le froid piquant et intense du mois de décembre. Pour en rajouter un peu, cela pourrait bien se passer la veille de Noël. Et pourquoi pas !

En attendant, Louis s’évertue à faire les allers et retours au moins deux fois par semaine. Il allume sa cheminée avec le petit bois ramassé mais avec parcimonie. Son intention n’est pas d’y retourner trop souvent. Ce soir, il est content, il est invité chez sa jeune voisine qui lui a promis de le régaler avec une carpe farcie, son régal depuis qu’il est tout petit. Il a préparé une bonne bouteille de vin blanc qui l’attende dans le réfrigérateur depuis la veille. Un chablis, le vin préféré de la belle demoiselle. Il a également acheté le dessert au boulanger qui passe tous les deux jours en camion dans sa rue. Le boucher aussi passe les jours suivants. Ils alternent pour que la vieillesse se sente moins seule. Dans quelques années, ce ne sera plus qu’un pauvre petit village français fantôme.