d’après Henri de Toulouse Lautrec (1864-1901) – L’Anglaise du Star du Havre – Etude portrait (1899) – Sanguine sur papier jaune pale – 32 x 24 cm
Henri se retrouve comme chaque été à bord du « Star » pour la navette Bordeaux-Le Havre. Il aime à flâner sur le pont et affectionne tout particulièrement le bar de ce paquebot magnifique.C’est tout comme un rendez-vous annuel qu’il se serait donné avec la délicieuse barmaid Miss Dolly. Elle est toujours là, fidèle au poste, le sourire mutin. Il se dégage de cette jeune femme une force, une sérénité et une joie de vivre insaisissables. Chacun de ses mouvements est spontané et pourtant calculé au millimètre près. Rapide, souriante, adroite, elle gère d’une main de maître tous ses clients.
Henri se laisse doucement envoûté par son parfum enivrant d’une essence de Guerlain, un certain Jicky. Ses boucles rousses relevées dans un chignon flou, qui tente de dompter cette tignasse libre et sauvage, sont une invitation au voyage. Lorsqu’elle s’adresse à lui, sa voix grave et sensuelle l’émeut au plus haut point. Il éprouve quelques difficultés à s’exprimer. Comme devinant son trouble, elle lui fait signe qu’elle repassera plus tard pour lui laisser le temps nécessaire pour récupérer ses esprits et passer une commande cohérente.
Perché sur un tabouret haut, du haut ou plutôt du bas de son mètre et cinquante-deux centimètres, Henri, au physique si particulier ne semble pas effrayer la belle. Bien au contraire, elle le surveille d’un œil langoureux peut être amoureux. Sait-on jamais. Remis de son émotion soudaine et habituelle, il ose lever la main pour lui faire un signe qu’il souhaite le plus amical et décontracté possible. Hors de question de dévoiler ses sentiments. Elle est beaucoup trop bien pour lui. Elle mérite tellement mieux. Lui, le nain boiteux et malade. Non, ce qu’il lui faut c’est un homme fort, à la carrure d’athlète, à la sensibilité d’une orchidée et totalement fou amoureux de ce regard bleu pale « wedgewood ». Que demander sinon une coupe de champagne pour célébrer leurs retrouvailles ? Elle ne doit pas se souvenir mais lui, il attend cet instant depuis si longtemps déjà. Lorsque Miss Dolly lui tend le breuvage de fête, il réussit à lui effleurer deux doigts de sa main délicate. Il jurerait qu’elle a légèrement rougie, troublée certainement, enfin il l’espère. En tout cas, elle ne semble pas en colère et se retourne pour lui offrir un sourire éclatant et ces quelques mots qui résonnent encore : « à l’année prochaine Monsieur. »
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