d’après Edouard Manet (1832-1883) – La Serveuse de bocks (1878-1879) – Huile sur toile – 46 x 38 cm

Comme chaque vendredi soir, William sort du bureau avec une poignée de collègues, comme lui, célibataires, libres, heureux que ce soit la fin de la semaine, enfin.

La joyeuse bande se rend à la brasserie Lipp, leur quartier général depuis quelques années maintenant. Ils y apprécient tout particulièrement le décor, l’accueil sympathique des serveurs et serveuses et l’ambiance en général. Cette institution au cœur du quartier de Saint-Germain-des-Prés leur rappelle leur réussite sociale, leurs jeunes années d’étudiants à la Sorbonne, leurs rendez-vous amoureux sans lendemains. En résumé, leurs plus belles années !

Ce soir, c’est l’anniversaire de William. Ce soir c’est la tournée générale pour l’occasion ! Lorsque la jeune femme s’approche de la table pour prendre leur commande, il est sous le charme. Bizarre, il ne l’avait jamais remarqué auparavant. Son regard … Oui, tout se passe dans son regard. D’un noir profond, un noir intense digne des fonds sous marins, lorsque toute lumière a disparu. Enfin, ce qu’il en imagine en tout cas. Il en oublie de parler. Ses copains du travail se moquent gentiment de lui. Ils prennent le relais devant leur ami bouche bée.

Reprenant peu à peu ses esprits, William enchaîne avec une ou deux blagues pour se donner plus une contenance qu’un quelconque aspect comique. De toute façon, ils n’en sont plus à leur premier verre. L’ivresse a remplacé la sobriété. Et le moindre mot, la moindre phrase, même la plus anodine, déclenchent l’hilarité générale. Ils font même beaucoup de bruit. Le patron a dû leur demander de baisser d’un ton. Le standing de la clientèle impose un minimum de tenue. Ils l’avaient juste un peu oublié. Ce n’est pas tous les soirs la finale de la coupe du monde de foot !

Il se fait tard, les plus raisonnables sont déjà partis se coucher. Le lendemain, ils ont un match de tennis. Quant aux plus illuminés, ils tiennent le choc. William, quant à lui, a fixé la serveuse pendant toute la soirée. Il l’a même vue rougir une ou deux fois. Ce n’est pourtant pas dans ses habitudes mais là c’est plus fort que lui.

La brasserie Lipp va bientôt fermer ses portes. William demande l’addition. Et alors qu’il croise son regard, c’est lui cette fois qui rougit. Au moment de franchir le seuil, il retourne à l’intérieur en courant juste pour lui demander son nom. C’est Sybil.