d’après Eugène Boudin (1824-1898) – Vaches au pré (vers 1854 – 1860) – Pastel sur papier blanc – 24 x 32 cm
Les collines sont d’un bleu vert profond, les arbres touchent le ciel et la prairie est d’un vert tendre et d’un jaune éblouissant. Quel est cet endroit ? Phoebe regarde autour d’elle. Elle reconnaît chaque membre du troupeau. Toutes ses amies d’infortune sont là, bien présentes, bien vivantes. Pourtant, lorsqu’elle tente de fouiller dans sa mémoire, les derniers souvenirs sont tout à fait différents.Comme chaque matin, elles ont été nourries d’une botte de foin frais. Un véritable régal en ce début d’hiver où l’herbe se fait rare, une bénédiction en ces petits matins où la gelée glace le bas des pattes. Alors que le petit déjeuner bat son plein, Phoebe entend, de nouveau, le tracteur. C’est inhabituel mais elle n’y prête qu’à moitié attention, complètement absorbée par sa mastication. Parce qu’il faut jouer des cornes si on veut être servie dans les premières. En effet, les plus anciennes, aguerries à ce genre d’exercice depuis de nombreuses années, sont redoutables de roublardise et de combativité. L’enclos est grand ouvert, des hommes crient dans tous les sens, affolant les quelques cinquante têtes occupées à se sustenter. En très peu de temps, des groupes çà et là se forment. Phoebe se retrouve prisonnière, bien malgré elle, en compagnie d’autres bêtes nées la même année qu’elle. Elle le sait puisqu’elles ont joué ensemble pendant deux été consécutifs. Elles se sont poursuivies maintes fois feignant un danger quelconque. Aujourd’hui, c’est autre chose. Elle le sent, elle le lit dans le regard des vieilles qui meuglent comme des hystériques. Des bruits venant de la route : le moteur d’un gros camion, des chaînes jetées à même le sol, des ordres hurlés par des humains déshumanisés et une grille qui s’ouvre. Phoebe et les autres se précipitent … dans la gueule du loup. Serrées les unes contre les autres, elles ne peuvent pas tomber mais elles penchent d’un côté puis de l’autre au gré des virages comme la houle. Soudain, un coup de frein plus intense que les précédents, l’arrière du camion béant et les sabots qui claquent sur la terre ferme. Guidées par des barbelés, elles n’ont d’autre choix que de suivre le mouvement. Les minutes suivantes passent vite, très vite, Phoebe ne se souvient plus très bien, peut être une vive douleur sur le flanc droit, comme une décharge électrique puis le trou noir et enfin … la lumière.
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