d’après Eugène Boudin (1824-1898) – Moutons et chien de berger (vers 1854 – 1860) – Pastel sur papier gris – 24 x 32 cm
Jaska adore son métier. Son savoir-faire, elle le tient de sa mère, qui elle-même le tenait de la sienne. Une tradition matriarcale dont est très fier Alfonse. À la fin de l’hiver, elle trépigne. Elle attend cet instant depuis si longtemps. Les verts pâturages, la montagne, la petite maison l’abritant elle et son maître. Autant de petits rituels qui rythment les beaux jours. Le troupeau promet d’être important cette année. Le patron a racheté quelques brebis qui vont bientôt mettre bas. Des nouvelles qu’il va falloir mâter les premiers jours et veiller à ce qu’elles suivent bien les aînées. Tant de danger guette toutes ces jolies laines blanches à la tombée de la nuit. Mais Jaska n’est pas inquiète, elle a l’habitude de gérer, c’est déjà sa cinquième saison.Alfonse s’est levé bien tôt ce matin. La transhumance est pour aujourd’hui, Jaska en est certaine. Elle le suit comme son ombre, la queue balayant tout sur son passage. Presque 7 heures, c’est le départ avant la grosse chaleur. La plus âgée est libérée la première, la cloche autour de son cou et son expérience du terrain font de Blanquette la meneuse parfaite.
La première journée s’achève sans anicroche. Juste peut-être la doyenne qui boitille un tantinet. Mais rien de bien sérieux. Alfonse a pris du baume qu’il compte lui appliquer avant d’aller dormir. Jaska épie le moindre de ses gestes et l’aide du mieux qu’elle peut : lui apportant les compresses pour la brebis, plus tard sa couverture pour l’abriter du vent qui souffle à la belle étoile et son paquet de cigarettes qu’il traine depuis toujours mais qu’il n’entame jamais, un souvenir de son grand-père.
Le lendemain, il pleut à verse. Les sabots glissent sur les rochers. C’est dangereux. Ils doivent passer de l’autre côté de la montagne vers le coteau le plus ensoleillé. Ils avancent tout doucement. Alfonse a passé une corde autour du cou de Blanquette pour la ralentir et l’empêcher de se blesser davantage la patte. Jaska est placée à l’arrière du troupeau pour regrouper les novices et les trainardes. Elle est trempée mais continue ses manœuvres de précision malgré tout. C’est tout un art.
Alors qu’ils approchent du sommet, la vieille brebis s’échappe. Affolée par l’orage qui gronde, elle perd le contrôle et court tous azimuts. Le berger hurle son prénom entre deux coups de tonnerre en vain. Trop tard, la cloche a cessé.
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